Cuba : “El comandante” Fidel Castro est mort
L’homme dont l’histoire se confond avec celle de Cuba est mort ce 26 novembre à l’âge de 90 ans. Malade, Fidel avait démissionné de ses fonctions de chef d’Etat en 2006 au profit de son frère Raul. Celui qu’on appelait le Líder máximo avait la haute main sur Cuba depuis le 8 janvier 1959, jour où il s’est emparé du pouvoir, les armes à la main. Ennemi favori des Etats-Unis, le marxiste-léniniste Fidel Castro aura connu onze présidents américains, d’Eisenhower à Obama.
Peu de chefs d’Etat ont été aussi souvent donnés pour mort. C’est la rançon quasi normale d’un pouvoir aussi ferme qu’hermétique, tel que celui qu’a exercé Fidel Castro sur Cuba. Atteint par une grave hémorragie intestinale en 2006, l’ex-chef de la révolution cubaine a été plus souvent qu’à son tour l’objet de rumeurs annonçant son décès. Au début de 2012, Twitter, repris largement par la presse, a même relayé la publication d’une photo de Fidel sur son lit de mort, qui s’est avérée être un montage macabre…
Mais la dégradation régulièrement annoncée avec insistance de l’état de santé de l’ex-Líder máximo se trouve confirmée cette fois. A La Havane, les autorités s’astreignaient à un silence total sur la santé de Fidel Castro, devenue un secret d’État absolu. Ces dernières années les apparitions publiques du « comandante» étaient aussi rares qu’organisées. De loin en loin, on l’aperçoit comme en janvier 2014 à l’inauguration de la galerie d’un ami de longue date, l’artiste cubain Alexis Leyva «Kcho», très voûté, équipé d’un appareil auditif, marchant avec difficulté aidé d’une canne et lourdement appuyé au bras de son médecin. Plusieurs mois d’éclipse et le revoici, en avril 2016 qui aparaît au congrès du Parti communiste de Cuba. Cette fois-ci il ne laisse à personne le soin d’évoquer sa disparition. « Je devrais bientôt fêter mes 90 ans. Bientôt j’en aurai fini comme tous les autres… », dit-il avec difficulté devant les 1 000 délégués à qui il assure que « le peuple cubain vaincra ». Ce seront ses adieux aux camarades communistes.
En mai 2015, premier chef d’Etat occidental à fouler le sol cubain depuis la révolution de 1959, le président François Hollande aura une entrevue d’une cinquantaine de minutes avec Fidel Castro au domicile de ce dernier. « Un homme qui a fait l’histoire », dira de lui le chef de l’Etat français qui, alors qu’il était premier secrétaire du Parti socialiste, s’était montré très critique envers le régime castriste qui détenait, écrivait-il en 2003, « tout l’arsenal d’une dictature ». Mais le temps a passé et, précisera François Hollande, « c’est par respect pour le peuple cubain que j’ai rencontré Fidel Castro ».
L’épopée de la Sierra Maestra
Fidel Castro et Cuba ont, durant plus de cinq décennies, mêlé leur destin comme la chair et le sang. Né dans une famille aisée le 13 août 1926, il suit d’abord la route toute tracée pour ceux de son milieu : études chez les jésuites, puis l’université, où il obtient un diplôme de droit en 1950. Mais, il bifurque de la profession d’avocat qu’il s’était choisie, dès le coup d’Etat réussi de Fulgencio Batista ; dès lors, dit-il dans ses mémoires, il devient « un révolutionnaire professionnel ».
Pourtant tout commence mal : son premier fait d’armes, en 1953, est un échec. Il attaque avec une poignée d’hommes la caserne de la Moncada. Arrêté, il reste en prison jusqu’en 1955, où il est amnistié. Alors que les idées révolutionnaires de Fidel Castro commencent à se répandre, il s’exile avec son frère Raul au Mexique. C’est là qu’ils font la connaissance d’un jeune médecin argentin, Ernesto « Che » Guevara, avec qui ils approfondissent leur connaissance du marxisme-léninisme.
Dès 1956, rentré clandestinement à Cuba, Fidel et ses barbudos n’auront de cesse de harceler le pouvoir depuis les montagnes de la Sierra Maestra, région qui entre progressivement en dissidence. Le 1er janvier 1959, La Havane tombe aux mains des insurgés, Santiago le lendemain. Batista ne doit son salut qu’à la fuite.
La « révolution vert olive »
Aux Etats-Unis où il se rend en avril 1959, Fidel Castro, devenu Premier ministre de la République de Cuba, assure que « cette révolution n’est pas rouge mais vert olive », couleur des uniformes de la guérilla. Les actes balaient les mots quand Castro décide la nationalisation de plusieurs entreprises américaines installées sur l’île. Plusieurs incidents se succèdent ensuite jusqu’à ce que le gouvernement américain décide de sanctions économiques. Il n’en faut pas plus à la Russie de Khrouchtchev pour prendre Cuba sous son aile et déclarer être prête à la défendre contre les « forces agressives de Washington ».
Le ton belliqueux est donné et les Etats-Unis rompent leurs relations diplomatiques avec Cuba le 3 janvier 1961. Washington n’aura de cesse alors de chercher à mettre fin à la révolution cubaine. Avec la participation de 1 500 exilés cubains entraînés par la CIA, la « Brigade 2506 » débarque à Playa Giron, dans la baie des Cochons, le 16 avril 1961. L’invasion est un échec cuisant pour les Américains, ce que reconnaît le président John Kennedy dès le 24 avril. A l’humiliation américaine répond le triomphalisme de Fidel Castro pour qui « l’impérialisme yankee vient de subir en Amérique latine sa première grande défaite ».
L’année suivante, en 1962, Nikita Khrouchtchev décide, avec l’accord de Castro, d’installer dans le plus grand secret des missiles nucléaires pointés sur les Etats-Unis. Il s’agit pour l’URSS de défendre la révolution castriste et d’établir une parité stratégique avec les Etats-Unis. Des avions espions américains découvrent le pot aux roses et s’ensuit la plus grave crise jamais survenue entre deux puissances nucléaires.
Le 27 octobre 1962, la tension est à son comble et les va-t-en-guerre des deux côtés poussent Kennedy comme Khrouchtchevà donner l’ordre d’attaquer. Mais les deux hommes qui ont connu la guerre éviteront le pire, chacun étant persuadé qu’en lançant les hostilités, ils feraient des dizaines de millions de morts. Le carnage est évité de peu grâce à un compromis : Moscou accepte de retirer ses missiles de Cuba et Washington s’engage à ne jamais envahir l’île castriste. Ce fut le jour « le plus dangereux de l’histoire de l’humanité » devait en dire à l’époque un des conseillers du président Kennedy.
Guérilleros de tous les pays
A partir de cet épisode, Cuba est devenu le caillou dans la chaussure de l’oncle Sam, même si les aspérités se sont un peu émoussées. Malgré l’embargo économique, commercial et financier auquel est soumis Cuba par les Etats-Unis depuis 1962 et toujours en cours, Fidel Castro, fort du soutien du Kremlin, étend son influence bien au-delà de ses frontières.
Ce sont les années où toute guérilla communiste dans le monde – que ce soit en Amérique latine, dans les Caraïbes ou en Afrique – n’est jamais bien loin de l’« école cubaine » et de ses instructeurs. Fidel n’est pas avare de son aide logistique et financière. Quand en 1975, les militaires du Mouvement populaire de libération de l’Angola (MPLA) prennent le pouvoir et proclament l’indépendance, Cuba envoie des troupes à la rescousse contre les milices soutenues par le Zaïre, l’Afrique du Sud et les Etats-Unis qui cherchent à les renverser. Des milliers de soldats cubains resteront d’ailleurs en Angola jusqu’en 1988, date des accords mettant fin au conflit et auxquels prend part La Havane.
Fidel Castro a su dès 1966 donner une ampleur internationale à sa révolution en organisant en janvier 1966 la Tricontinentale, la conférence de solidarité des peuples d’Asie, d’Afrique et d’Amérique latine. C’est la première fois, à l’échelle du tiers monde, que se rassemblent les représentants des peuples et non ceux des gouvernements. Il s’agit pour les mouvements révolutionnaires de confronter leur expérience de la lutte anti-impérialiste et d’affirmer l’autonomie de leur combat face à Moscou ou Pékin.
Fidel Castro a façonné en profondeur l’histoire de Cuba des cinq dernières décennies. Dès les premières années de la révolution, il réforme l’agriculture et s’attaque à la redistribution des terres. Il fait voter une loi contre la ségrégation raciale, ce qui lui vaudra et pour longtemps, le soutien inconditionnel des noirs et des mulâtres. L’éducation et la santé sont des priorités : des bataillons d’instituteurs sont envoyés dans les montagnes les plus reculées pendant qu’une couverture médicale universelle et gratuite est créée. On forme de nombreux médecins au point que leur nombre par habitants est supérieur à celui de la France et du Royaume-Uni. A l’époque, l’espérance de vie des Cubains est proche de celle des Américains.
Entrouverture
Mais tout le monde, loin s’en faut, ne se réjouit pas de l’instauration du castrisme à Cuba. Depuis le début de la révolution, quelque deux millions de Cubains ont fui pour diverses raisons, politiques et économiques, l’île qui compte aujourd’hui 11,2 millions d’habitants. Champion toutes catégories des discours-fleuve, pendant un demi-siècle Fidel Castro a dirigé d’une main de fer son peuple à la tête d’un régime à parti unique instauré en 1965. Les opposants sont pourchassés sans répit et la presse est maintenue sous contrôle rapproché.
Depuis la chute de l’URSS en 1991, l’économie de Cuba prend l’eau de toutes parts. Pour survivre, des concessions sont faites par le gouvernement et une certaine ouverture économique est dès lors concédée. L’assouplissement des conditions de voyage pour les Cubains, comme la privatisation de quelques secteurs économiques, va dans ce sens, même s’il reste encore des restrictions à lever.
Dès 2009, le président Obama s’est engagé à fermer la base américaine implantée à Guantanamo. La base navale est devenue depuis le 11-Septembre, une prison où sont détenus des « ennemis combattants » au mépris de toutes les lois internationales. Début 2016, on dénombre encore 91 prisonniers dans ce camp. Les Cubains, a redit Raul Castro, exigent que les Etats-Unis leur rendent ce « territoire occupé illégalement », rappelant que cela constitue encore et toujours un point de blocage crucial pour les relations entre le deux pays.
En ce qui concerne les relations entre l’Église catholique et le régime communiste, elles se sont détendues à la suite de la visite de Jean-Paul II en janvier 1998, première visite papale à Cuba. Depuis, le président Raul Castro a ouvert en 2010 un dialogue officiel avec le cardinal Ortega, archevêque de La Havane, qui a notamment permis la libération de plusieurs dizaines de prisonniers politiques. En mars 2012, le pape Benoît XVI s’est à son tour rendu à Cuba où il a rencontré Fidel à la nonciature. En septembre 2015, c’est au tour du pape François de faire le voyage à La Havane ; sur place, il se rendra au domicile de Fidel Castro pour un entretien d’une quarantaine de minutes.
Pas à pas, la diplomatie reprend ses droits
Le 17 décembre 2014, un tournant décisif s’amorce avec la libération de l’Américain, Alan Gross, condamné pour espionnage et emprisonné depuis cinq ans à Cuba. Cette libération est rapidement suivie par l’annonce de Barack Obama sur la normalisation des relations entre les Etats-Unis et Cuba. Cependant, l’embargo économique, commercial et financier auquel est soumis Cuba par les Etats-Unis reste toujours d’actualité. Sa levée dépend en effet du bon vouloir du Congrès américain, peu enclin à favoriser Obama.
Nouvelle étape le 12 janvier 2015 quand le département d’Etat américain annonce la libération des 53 prisonniers politiques cubains comme les Etats-Unis le réclamaient dans le cadre du rapprochement diplomatique. Historique, la rencontre entre Barack Obama et Raul Castro à l’occasion du sommet des Amériques à Panama, en avril 2015 et la reprise des relations diplomatiques ont concrétisé autant d’étapes décisives dans le rapprochement entre les deux pays. Puis en mars 2016, Barack Obama se rend à La Havane pour « enterrer, dit-il, le dernier vestige de la Guerre froide dans les Amériques », une visite historique, la première d’un président américain depuis 88 ans. Des gestes qui annoncent une autre révolution, celle de la normalisation des relations bilatérales.
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